La vie de Sainte Thérèse
La vie de Sainte Thérèse
De l’enfance à l’entrée au Carmel
Connue sous le nom de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, Sainte Thérèse de Lisieux ou plus simplement appelée la «petite» Thérèse, Françoise Marie Thérèse Martin est née à Alençon, en France, le 2 janvier 1873. Elle est baptisée deux jours plus tard en l’église Notre-Dame d’Alençon.
Son père, Louis Martin, est horloger- bijoutier à Alençon et sa mère, Zélie, est dentellière.
Thérèse est la petite dernière d’une famille de neuf enfants dont quatre sont morts en bas âge. Marie, Pauline, Léonie et Céline accueillent avec joie leur petite sœur.
Toutefois, Zélie ne peut allaiter le bébé et Thérèse est confiée à une nourrice, Rose Taillé, à Semallé, en pleine campagne normande. Thérèse y restera un an. Revenue définitivement chez elle, elle grandit dans cette famille qui pratique la charité, où l’on s’aime beaucoup et où l’on prie ensemble. Thérèse est une enfant souriante, très intelligente et aimante mais elle a aussi son petit caractère.
Le 28 août 1877, Thérèse n’a que quatre ans et demi lorsque Zélie décède des suites d’un cancer du sein. Profondément marquée par la mort de sa mère, Thérèse jusqu’alors si vive et expansive, va peu à peu devenir timide, douce, sensible à l’excès, pleurant souvent et ne supportant pas la compagnie de personnes étrangères. Pauline, sa sœur, devient sa seconde maman.
Pour se rapprocher d’Isidore Guérin, frère de Zélie, pharmacien à Lisieux, Louis Martin quitte Alençon le 16 novembre 1877 pour s’installer avec ses cinq filles à la maison des Buissonnets, à Lisieux.
Entourée de l’affection de son père, son «roi » comme elle le surnomme et de ses sœurs, Thérèse reçoit une formation à la fois exigeante et pleine de tendresse.
Elle a appris avec son père à contempler et aimer la nature. « Ils étaient pour moi de beaux jours, ceux où mon roi chéri m’emmenait à la pêche avec lui, j’aimais tant la campagne, les fleurs et les oiseaux ! […] mais je préférais aller m’asseoir seule sur l’herbe fleurie, alors mes pensées étaient bien profondes et sans savoir ce que c’était de méditer, mon âme se plongeait dans une réelle oraison […] La terre me semblait un lieu d’exil et je rêvais le Ciel ». (Ms A 14 v)
D’un séjour à la mer alors qu’elle n’a que cinq ans et demi, elle garde aussi le souvenir d’un soleil couchant. Sur la mer, un voilier tout auréolé par les derniers feux de ce soleil. En le contemplant, Thérèse se rappelle l’histoire du « sillon d’or* ».
« Je le contemplai longtemps ce sillon lumineux, image de la grâce illuminant le chemin […]. Près de Pauline, je pris la résolution de ne jamais éloigner mon âme du regard de Jésus, afin qu’elle vogue en paix vers la Patrie des Cieux !… » (Ms A 22 r°).
Toute sa vie, Thérèse se souviendra de ce magnifique symbole. Elle a compris alors que pour réussir sa vie, il fallait rester dans ce « sillon d’or », se laisser illuminer par le regard de Jésus. ( Ms A 22 r°)
___________________________________________________________________________
* ( Cette histoire figure dans un recueil de lectures que Thérèse avait beaucoup aimé dans son enfance : La tirelire aux histoires, de Mme L. Belloc, 1870).
___________________________________________________________________________
Lors de sa première confession, à l’âge de 7 ans, dans la cathédrale Saint- Pierre où la famille Martin assiste aux messes, Thérèse est trop petite pour s’agenouiller : le prêtre lui demande de se tenir debout. « En sortant du confessionnal, j’étais si contente et si légère que jamais je n’avais senti autant de joie dans mon âme ». ( Ms A 17 r°)
Le 3 octobre 1881, elle a huit ans et demi et rentre à l’école tenue par les bénédictines de l’abbaye Notre-Dame-du-Pré. Thérèse découvre la vie collective à laquelle elle n’est pas préparée. Victime de méchantes taquineries de la part des autres élèves qui la jalousent , elle souffre et n’ose se plaindre.
Elle écrit plus tard que ces années furent les plus tristes de sa vie. (Ms A 22 r°)
En 1882, Thérèse apprend fortuitement que Pauline va entrer au Carmel de Lisieux. La perspective du départ de sa « seconde maman » la pousse au désespoir.
Pauline, cherchant à la consoler, décrit à sa sœur la vie d’une carmélite. Thérèse se sent alors appelée, elle aussi, au Carmel. « Je sentis que le Carmel était le désert où le Bon Dieu voulait que j’aille aussi me cacher… Je le sentis avec tant de force qu’il n’y eut pas le moindre doute dans mon cœur : ce n’était pas le rêve d’enfant qui se laisse entraîner, mais la certitude d’un appel divin ; je voulais aller au Carmel, non pour Pauline, mais pour Jésus seul… ». (Ms A 26 r°)
Le 2 octobre 1882, Pauline entre au Carmel. Le départ de sa grande sœur a rendu Thérèse très malheureuse. Elle tombe gravement malade. On a mis dans sa chambre, la statue de la Vierge Marie devant laquelle depuis toujours, on fait la prière du soir en famille. Le 13 mai 1883, Thérèse est guérie par le sourire de la Vierge. Elle raconte : « […] Et tout à coup, la Sainte Vierge me parut belle, si belle […] mais ce qui me pénétra jusqu’au fond de l’âme, ce fut le ravissant sourire de la Sainte Vierge. Alors toutes mes peines disparurent, deux grosses larmes jaillirent de mes paupières… Des larmes d’une joie sans mélange». (Ms A 30 r°)
Elle confiera aussi que longtemps après sa guérison, elle a cru qu’elle avait fait exprès d’être malade et que ce fut un vrai martyre pour son âme. (Ms A 27 r°)
C’est seulement en se rendant quelques années plus tard, à l’église Notre-Dame-des-Victoires à Paris ( là où son père est venu demander une neuvaine pour sa guérison) au cours du pèlerinage vers l’Italie en 1887, qu’elle comprend que c’est bien la Sainte Vierge qui lui a souri et qui l’a guérie. « J’ai compris, écrit-elle encore, que j’étais son enfant : aussi je ne pouvais plus lui donner que le nom de ‘’Maman’’ ». (Ms A 56 v°-57 r°)
Le 8 mai 1884, Thérèse fait sa première communion dans la chapelle des bénédictines. Pour s’y préparer, elle offre chaque jour à Jésus de petits sacrifices et tourne constamment son cœur vers Lui. Évoquant sa première communion, Thérèse confie :« Ah qu’il fut doux le premier baiser de Dieu à mon âme ! Ce fut un baiser d’amour, je me sentais aimée et je disais aussi : je vous aime, je me donne à vous pour toujours ». ( Ms A, 34 v°)
Le 22 mai (jeudi de l’Ascension), elle fait sa deuxième communion et est confirmée le 14 juin par Mgr Hugonin, évêque de Bayeux.
Le 29 mai 1887, dimanche de la Pentecôte, Thérèse confie à son père son désir d’entrer au Carmel au plus tôt. « […] Comment lui parler de quitter sa reine, lui qui venait de sacrifier ses trois aînées? Ah ! que de luttes intimes n’ai-je pas souffertes avant de me sentir le courage de parler !…. […] Mais je défendis si bien ma cause, qu’avec la nature simple et droite de Papa, il fut bientôt convaincu que mon désir était celui de Dieu lui-même et dans sa foi profonde, il s’écria que le Bon Dieu lui faisait un grand honneur de lui demander ainsi ses enfants… » (Ms A 50 r°)
Dans les mois qui suivent, la presse française relate un triple assassinat. Pranzini, le criminel qui ne manifeste aucun signe de repentir, est condamné à mort.
Thérèse décide de prier pour lui, pour obtenir sa conversion. Or, juste avant d’être exécuté, Pranzini rappelle l’aumônier et embrasse le crucifix. Thérèse y voit un signe: elle doit aller au Carmel prier pour tous les pécheurs. (Ms A 46 r°)
Il n’est pas facile de devenir carmélite à quinze ans*. Thérèse doit convaincre son oncle Isidore d’abord, puis l’aumônier du Carmel qui la trouve trop jeune tout comme Mgr Hugonin, évêque de Bayeux, qui ne répond pas. Pourtant, elle a même relevé ses cheveux en chignon pour paraître plus âgée lors de sa rencontre avec Mgr Hugonin. (Ms A 55 r°)
Qu’à cela ne tienne, elle ira demander la permission au Pape lui-même!
Son père s’est en effet inscrit pour un pèlerinage à Rome, emmenant avec lui Céline et Thérèse.
Ils partent le 4 novembre 1887, passent deux jours à Paris où ils visitent les merveilles de la capitale et entres autres, l’église Notre-Dame-des-Victoires puis découvrent les Alpes, Venise, Rome,… Thérèse et Céline s’émerveillent devant tant de beauté.
Le 20 novembre, c’est l’audience du Pape Léon XIII. Thérèse, très intimidée présente sa supplique au Pape : entrer au Carmel à quinze ans.
« Très Saint-Père, si vous disiez oui, tout le monde voudrait bien. – Allons, allons, répond le Saint-Père, vous entrerez si le Bon Dieu le veut » ( Ms A 63 v°). Thérèse pleure, elle a fait tout ce qu’elle pouvait.
C’est déjà le retour du si beau voyage. Naples, Assise, Nice, Marseille…
Au cours de ce voyage, ayant côtoyé des prêtres, Thérèse s’est aperçue que ceux-ci ont aussi besoin de sa prière. En revenant d’Italie, une nouvelle intention l’habite : prier pour la sainteté du clergé. (Ms A 56 r°)
__________________________________________________________________________
*A la fin du 19ème siècle, on pouvait faire profession religieuse à dix-huit ans, après quelques mois de postulat et un an de noviciat : c’est dire qu’il n’était pas rare d’y entrer vers seize ans. Thérèse ne demandait par conséquent qu’une dispense d’un an.
___________________________________________________________________________
Thérèse attend toujours la réponse de Mgr Hugonin. Noël 1887 arrive. Toujours rien!
Le 1er janvier 1888, la veille de ses quinze ans, Thérèse est informée de la réponse favorable de Mgr Hugonin mais les Carmélites ne veulent pas que Thérèse entre en plein hiver. Son entrée au Carmel est fixée au lundi 9 avril 1888.
La vie de Thérèse au Carmel, sa maladie et sa mort
Le lundi 9 avril 1888, après la messe de sept heures, Mr Martin, Léonie, Céline et toute la famille Guérin accompagnent Thérèse jusqu’à la porte de la clôture. Celle-ci s’agenouille sur le carrelage pour recevoir la bénédiction de son père puis franchit la porte du Carmel. La prieure, mère Marie de Gonzague, accueille la jeune postulante.
En entrant au monastère, Thérèse n’est pas surprise. Elle a souvent entendu ses deux sœurs aînées expliquer le déroulement de la journée d’une carmélite.
La priorité est évidemment donnée à la prière : environ six heures et demie dont deux heures d’oraison silencieuse et quatre heures et demie pour la messe et l’office choral.
Le travail, cinq heures par jour environ, se fait dans la solitude, en cellule ou dans la pièce réservée à ce travail. Chaque religieuse est occupée: ménage, lessive, jardinage ou fabrication des hosties,…
Le travail manuel laisse l’esprit libre de penser à Dieu.
La vie de solitude est équilibrée par la vie communautaire pour les vingt-cinq sœurs qui vivent au Carmel: deux heures de récréation en communauté et repas au réfectoire commun, en silence, s’accompagnant d’une lecture à haute voix.
Le sommeil est de six heures en été, sept heures en hiver. La cellule de Thérèse comprend un lit, un petit banc, une lampe à essence, un sablier et une corbeille à couture. Mais pour se rappeler que rien ne leur appartient et ne pas s’attacher, les carmélites changent régulièrement de cellule.
Chaque carmélite dispose d’une heure de temps libre le soir. Thérèse utilise souvent ce moment pour lire, rédiger une lettre ou une poésie.
Si Thérèse a retrouvé ses deux sœurs, elle ne recommence pas une vie de famille. Mère Marie de Gonzague est un peu dure avec elle et la vie communautaire présente des difficultés. Il arrive qu’on lui fasse sentir qu’elle n’est pas assez dégourdie ou qu’on lui dise des paroles désagréables. Elle écrira: « Mes premiers pas ont rencontré plus d’épines que de roses » ( Ms A 69 v°). Mais Thérèse aime sa nouvelle vie, elle ne manque pas d’offrir à Jésus toutes ces «piqûres d’épingle», comme elle les appelle, pour la conversion des pécheurs.
Pour l’instant, elle n’a pas encore l’habit d’une carmélite mais la longue robe bleue de postulante, une pèlerine et un petit bonnet sombre qui enserre son abondante chevelure.
Le 10 janvier 1889, Thérèse prend l’habit de carmélite. Ce jour-là, son père est très fier de l’accompagner pour sa prise d’habit. Mr Martin va mieux mais sa santé mentale a donné de l’inquiétude à sa famille : une maladie lui fait perdre la tête, il avait même disparu pendant quatre jours.
En revêtant la robe marron de carmélite et le voile blanc des novices, Thérèse prend le nom de Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte- Face. Depuis l’été 1882 déjà, Thérèse souhaitait prendre le nom de sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus. En prenant ce titre, elle se centre sur le grand mystère de la foi chrétienne : la venue dans la chair du Verbe de Dieu. L’Incarnation est pour elle l’expression de l’humilité de Dieu qui se manifeste également dans le mystère eucharistique.
Mais peu à peu, c’est aussi à travers la Sainte Face que Thérèse a pris l’habitude de contempler l’Amour de Jésus pour les hommes. « Regarde la Face adorable de Jésus, écrit-elle à Céline. Là tu verras comme il t’aime ». ( Lettre 87- Thérèse à sa sœur Céline).
Elle ajoute l’expression Sainte- Face à son nom de religieuse.
Un mois plus tard, en février 1889, après une crise de folie, Mr Martin est interné à la maison de santé du Bon Sauveur de Caën où il restera trois ans. La famille est dispersée : Léonie et Céline habitent à Caën pour être près de leur père. Le bail des Buissonnets est résilié et les meubles vendus. C’est une grande souffrance pour toute la famille.
La contemplation de la Sainte Face habitera de plus en plus la prière de Thérèse. Dans son esprit, elle associera constamment la Sainte Face de Jésus et le visage méconnaissable de son père. Par cette épreuve familiale, Thérèse saisit mieux l’abîme d’humiliation dans lequel le Sauveur a voulu descendre. Elle se rappelle aussi que son père reste, envers et contre tout, l’enfant bien-aimé du Père.
Le 2 septembre 1890, Thérèse répond aux questions de l’examen canonique : « Pourquoi êtes-vous venue au Carmel ? — Je suis venue pour sauver les âmes et surtout prier pour les prêtres.» (Ms A 69 v°)
L’engagement définitif de la carmélite se fait lors de deux cérémonies. La première, privée, dans la salle du chapitre est fixée au 8 septembre : c’est dans une paix profonde que Thérèse prononce ses vœux de chasteté, pauvreté et obéissance.
La cérémonie de prise de voile a lieu le 22 septembre, dans la chapelle du monastère, en présence des fidèles et de la famille sauf Mr Martin: la carmélite y échange son voile blanc de novice contre le voile noir de professe.
En février 1891, Thérèse est nommée aide sacristine . Thérèse envie la vocation des prêtres. Et elle est heureuse de s’associer de près à leur ministère par son travail à la sacristie.
En octobre de cette année1891, au cours d’une retraite donnée par le père Alexis Prou, Thérèse souvent en proie à des scrupules concernant la gravité de ses péchés, se sent comprise et même devinée. Le Père lui a permis de comprendre que « le Bon Dieu est content d’elle, que ses fautes ne Lui font pas de peine ». «[…] Je sentais bien au fond de mon cœur que c’était vrai car le Bon Dieu est plus tendre qu’une Mère… » (Ms A 80 v°)
Une épidémie de grippe s’abat sur la France durant l’hiver 1891-1893. Au carmel de Lisieux , toutes les sœurs sont malades sauf trois dont Thérèse. Plus de sonneries, plus d’offices, plus de repas en commun. Thérèse doit tout faire : la cuisine , soigner les malades, accueillir le docteur, ensevelir les mortes, préparer les enterrements, … (Ms A 79 r°-v°)
A 19 ans, Thérèse est devenue une jeune femme forte, bien utile, et toujours aimable.
Durant tout ce temps, Thérèse profite pour communier tous les jours. L’un de ses grands désirs.
Le 10 mai 1892, Mr Martin, paralysé des jambes, revient à Lisieux, après trois années d’internement.
Le 12, il fait sa dernière visite au parloir du Carmel et revoit ses filles. Léonie et Céline se consacrent pour l’instant au service de leur père. Elles envisagent aussi la vie religieuse.
En février 1893, Pauline ( Sœur Agnès) est élue prieure à la suite de mère Marie de Gonzague, Thérèse en est ravie. Mère Agnès lui confie le rôle de maîtresse des novices mais lui demande aussi de se mettre à la peinture. (Ms A 81 r°)
Thérèse peint des images, des étoles et des chasubles , elle enlumine les gravures des missels,…
En été 1893, Thérèse peint une fresque qui entoure le tabernacle de l’Oratoire des malades.
Insensiblement, Thérèse commence à s’exprimer davantage en communauté. Non seulement par la peinture mais aussi par la poésie . Bientôt, mère Agnès la chargera de composer poèmes, cantiques et saynètes de communauté.
Quand Thérèse est également nommée « seconde portière » en été 1893, elle doit déployer des trésors de patience à l’égard de la sœur qui dirige l’office de la porterie. Pendant trois ans, jusqu’en mars 1896, Thérèse supporte avec le sourire les tâches qui lui sont confiées et les remarques désagréables de Sœur Saint-Raphaël. Pensant en effet, comme elle l’écrit à Céline que « si nous restons fidèles à faire plaisir à Jésus dans les petites choses, Lui se trouvera obligé de nous aider dans les grandes ». ( Lettre de Thérèse 161, 26 avril 1894). Elle écrira aussi : «[…]Ah ! je comprends maintenant que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses….mais surtout j’ai compris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du cœur….la charité qui doit non seulement réjouir ceux qui me sont les plus chers mais TOUS ceux qui sont dans la maison […] » (Ms C p12 r°- v°)
Le 21 janvier 1894, Thérèse joue le rôle de Jeanne d’Arc dans la première pièce qu’elle a composée : La mission de Jeanne d’Arc.
Elle a alors 21 ans. Au printemps, elle commence à souffrir de la gorge.
Le 29 juillet 1894, M.Martin décède.
Céline entre à son tour au Carmel, le 14 septembre 1894, tandis que Léonie qui a déjà tenté plusieurs fois de devenir religieuse reste chez les Guérin.
Mère Agnès donne l’autorisation à Céline d’apporter son appareil photographique au Carmel.
Le 21 janvier 1895, la deuxième pièce composée par Thérèse en l’honneur de Jeanne d’Arc est jouée. Thérèse y tient le rôle de Jeanne d’Arc sur laquelle elle a étudié avec soin les ouvrages et qu’elle estime comme une « sœur », voulant comme elle « combattre pour Jésus, Lui gagner des âmes sans nombre et L’aimer de plus en plus ». ( Récréations pieuses, n°3 : Jeanne d’Arc accomplissant sa mission – Scène 5: 20-25 [12v°])
La personnalité de Thérèse offre de merveilleux contrastes.Son âme guerrière ne l’empêche pas d’avoir un cœur d’enfant. Elle découvre de mieux en mieux la tendresse maternelle de Dieu et la vérité du mot de Jésus : « Si vous ne devenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. » ( Matthieu 18- 3)
Elle se sent bien petite, mais loin de l’effrayer, cette petitesse la réjouit. À partir de février 1895, Thérèse signe ses lettres « la toute petite Thérèse » ; elle vient de découvrir plus profondément à quel point le Seigneur est miséricordieux, combien il se plaît à transformer ses créatures lorsque celles-ci reconnaissent vraiment leur petitesse, leur impuissance à parvenir par leurs propres forces à la sainteté.
Jusque-là, Thérèse utilisait le vocabulaire de la petitesse pour exprimer son désir de rester cachée aux yeux du monde, de ne pas rechercher l’estime et les félicitations de ses sœurs ; elle l’emploie désormais pour exprimer sa joyeuse espérance : plus elle se sentira petite devant Dieu, plus elle sera l’objet de sa condescendance. Thérèse écrira dans son troisième manuscrit : « L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus. Pour cela, je n’ai pas besoin de grandir ; au contraire, il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. » ( Ms C, 3 r°)
Thérèse a conscience d’avoir découvert une voie toute nouvelle pour aller à Dieu. Elle parle de Petite Voie pour désigner sa doctrine.
C’est mère Agnès qui, en 1907, emploiera pour la première fois l’expression de « voie d’enfance spirituelle » pour caractériser la spiritualité de sa sœur, expression qui sera reprise par Benoît XV lors de la promulgation du décret sur l’héroïcité de ses vertus.
« Petite Voie » signifie d’abord pour Thérèse, un chemin que tout le monde peut suivre, une existence qui n’implique ni extases, ni pénitences particulières mais plutôt et surtout un désir de s’unir à Dieu en vérité. Il s’agit d’abord de se laisser rejoindre, aimer et façonner par Lui. Son amour est gratuit, celui d’un père pour ses enfants. C’est toujours Lui qui nous aime le premier.
En janvier 1895, mère Agnès a demandé à Thérèse d’écrire ses souvenirs d’enfance. Thérèse s’est donc procuré un petit cahier d’écolier et dans sa cellule, assise sur son banc, l’écritoire posée sur les genoux, elle relate tous les événements de son existence à la lumière de cette miséricorde divine dont elle a découvert toute la richesse.
Le 9 juin 1895, fête de la Sainte Trinité,Thérèse s’offre à l’Amour miséricordieux de Dieu, ayant compris combien Dieu est une Fontaine intarissable d’amour.
Elle a rédigé son acte d’offrande. En s’offrant comme victime d’holocauste à l’Amour miséricordieux de Dieu, elle conteste par là et de façon audacieuse, la conception de son temps qui voulait que les âmes pieuses soient invitées à s’offrir comme victimes à la justice de Dieu, afin de détourner sur elles-mêmes, la colère d’un Dieu vengeur prête à s’abattre sur les pécheurs.
Elle comprend que ce que Dieu veut déverser sur la terre, ce n’est pas une justice vengeresse, mais les flots de son amour miséricordieux.
Se laisser aimer et pardonner par le Seigneur, voilà la pensée de Thérèse mais sa Petite Voie demande aussi en retour le désir de rendre « amour pour amour ». Thérèse a conscience que sa Petite Voie peut être mal interprétée si l’on n’y associe pas la place du combat spirituel dans la vie chrétienne.
Le 17 octobre 1895, mère Agnès confie à Thérèse un futur prêtre et futur missionnaire en Afrique, l’abbé Maurice Bellière. Thérèse est comblée, elle a toujours rêvé d’avoir un frère prêtre. Pour ce frère spirituel, elle redouble d’ardeur, offrant pour lui toutes ses prières et tous ses actes de renoncement.
Plus tard ( le 30 mai 1896), un autre missionnaire lui sera confié par mère Marie de Gonzague (réélue prieure aux élections de mars 1896, en lieu et place de mère Agnès), l’abbé Adolphe Roulland qui va partir en Chine.
Sa vocation à elle n’est pas d’annoncer l’Evangile par la parole. Mais Thérèse a la conviction profonde qu’il lui suffit de vivre son existence toute simple de consacrée et de mettre beaucoup d’amour dans le moindre de ses gestes, pour participer de près à l’apostolat d’un missionnaire.
Le 20 janvier 1896, Thérèse remet à mère Agnès son cahier ( manuscrit A). Son petit cahier noir de 85 feuilles recto verso relate non pas les souvenirs familiaux que sa sœur Pauline (mère Agnès) avait suggérés mais plutôt les « miséricordes du Seigneur » pour elle-même.
Le manuscrit A est une longue action de grâce de Thérèse pour son enfance et sa jeunesse en famille et au carmel.
Le 17 mars, sa soeur Céline ( Sœur Geneviève) reçoit le voile noir de carmélite tandis que sa cousine Marie Guérin prend l’habit sous le nom de sœur Marie de l’Eucharistie.
Mais depuis quelques mois, des sœurs ont remarqué que Thérèse tousse beaucoup. Sa voix est enrouée tous les matins. Dans sa cellule, la nuit du Jeudi au Vendredi Saint ( du 2 au 3 avril 1896), elle vomit du sang, c’est sa première hémoptysie et le premier signe de la maladie ( tuberculose) qui l’emportera environ un an et demi plus tard.
Peu après Pâques, Thérèse entre soudainement dans la « nuit de la foi ». Elle a tout à coup l’impression de ne plus croire à l’existence du Ciel. Ses doutes ne portent pas sur l’existence de Dieu mais sur celle d’une vie future.
Elle qui désirait profondément faire du bien après sa mort se pose désormais bien des questions. Mais elle réagit en se répétant la parole de Jésus: « Je m’en vais vous préparer une place… et je reviendrai, afin que là où je suis, vous soyez aussi » (Jean, 14-3). Elle ne discute pas les raisonnements qui tendent à lui démontrer l’impossibilité d’une vie après la mort. Elle se contente de redire à Jésus : « Je crois à ta parole, à ta promesse ; je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle ». Ces actes de foi, elle va les multiplier dans les dix-huit derniers mois de sa vie.
Dans les mois qui suivent, Thérèse parle des désirs apparemment contradictoires qui se développent chez elle depuis quelque temps : elle voudrait être guerrier, prêtre, apôtre, docteur, martyr…car elle voudrait prouver son amour pour Jésus de mille manières. ( « Etre ton épouse, ô Jésus, […] cependant je sens en moi d’autres vocations…. » ( Ms B 2 v°)
Après avoir cherché dans l’Ecriture, elle tombe sur les chapitres XII et XIII de la première épître de St Paul aux Corinthiens.
Chacun, explique l’apôtre, doit accepter d’occuper dans l’Eglise une fonction différente. En méditant, Thérèse comprend alors que puisque l’Eglise est un corps, elle doit avoir un cœur, un cœur brûlant d’amour. C’est cet amour qui fait agir tous les membres de l’Eglise.
C’est ainsi qu’elle écrit:« […] ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !…….Oui j’ai trouvé ma place dans l’Eglise et cette place, ô mon Dieu, c’est Vous qui me l’avez donnée…..dans le Cœur de l’Eglise, ma Mère, je serai l’Amour……ainsi je serai tout…..ainsi mon rêve sera réalisé !!!….. » ( Ms B 3 r°-v°)
Le 8 septembre 1896, Thérèse remet le manuscrit B que lui a demandé d’écrire sa sœur Marie ( sœur Marie du Sacré- Cœur). C’est à Jésus lui-même qu’elle s’est adressée dans ce manuscrit. « Ma Sr chérie, vous m’avez demandé de vous écrire mon rêve et ‘’ma petite doctrine ‘’ comme vous l’appelez…[…]… En écrivant, c’est à Jésus que je parle, cela m’est plus facile […]) ( Ms B 1 v°).
Début avril 1897, Thérèse tombe gravement malade, la tuberculose progresse.
Elle vient d’avoir vingt-quatre ans. Au printemps, elle ne peut plus travailler, ni aller à la chapelle, elle doit rester dans sa chambre. Parfois, par beau temps, on la conduit sous les marronniers du jardin dans la petite voiture de malade de son père.
Elle confie à sœur Geneviève ( sa sœur Céline) qu’elle a toujours rêvé d’exprimer son amour pour la Sainte Vierge. En mai 1897, elle rassemble ses forces et compose en l’honneur de la Vierge Marie, sa dernière poésie « Pourquoi je t’aime, ô Marie ». ( Poésie n° 54)
Cette poésie en vingt-cinq strophes relate la vie de Marie de Nazareth, vie toute simple et vie de foi telle que l’Evangile nous la présente, car Thérèse aime contempler en Marie un modèle accessible à tous les chrétiens qui ont à vivre leur amour de Dieu et du prochain dans une vie ordinaire.
Le 2 juin 1897, mère Agnès voyant sa sœur très malade se risque à suggérer à la Prieure de demander à Thérèse de continuer ses écrits. Le lendemain , mère Marie de Gonzague ordonne à Thérèse de poursuivre son autobiographie.
Le 7 juin, Céline désire photographier sa sœur. Ce jour-là, Thérèse prend en main deux images de son bréviaire qui rappellent à la fois son nom de religieuse et sa spiritualité : l’Enfant-Jésus et la Sainte Face . Céline fait reprendre la pose trois fois et Thérèse épuisée fait des efforts pour y parvenir.
Deux jours plus tard, Thérèse écrit : « Il me semble maintenant que rien ne m’empêche de m’envoler, car je n’ai plus de grands désirs, si ce n’est celui d’aimer jusqu’à mourir d’amour. » (MS C)
Elle pressent que sa mort est proche et confiera ce jour-là à sa marraine, qu’elle est certaine de travailler encore beaucoup après sa mort. Le bon Dieu ne mettrait pas dans son cœur un tel désir s’il ne voulait pas l’exaucer… Elle déclare très sérieusement à sa marraine : « Moi aussi, après ma mort je ferai pleuvoir des roses ».*
______________________________________________________________________________
*( En mai-juin 1897, on lisait au réfectoire la vie de Louis de Gonzague où l’auteur mettait en valeur la fécondité de la vie posthume de ce jésuite mort à vingt-trois ans).
______________________________________________________________________________
Le 8 juillet, Thérèse est descendue à l’infirmerie. Aux rideaux de son lit, elle a épinglé des images des saints qu’elle aime et on a mis la statue de la Vierge du Sourire devant elle.
La tuberculose gagne du terrain, Thérèse souffre et étouffe, elle est épuisée.
Elle fait pourtant l’effort d’écrire chaque semaine de juillet à l’abbé Bellière qui demande son aide avec insistance et écrit également une lettre d’adieu au père Roulland, à sa famille ainsi que quelques billets à ses sœurs.
Ayant reçu l’autorisation de mère Marie de Gonzague, mère Agnès s’installe au chevet de sa sœur à l’infirmerie, pendant les heures d’office, les récréations et chaque fois que les infirmières sont requises ailleurs.
Soucieuse de ne pas perdre les souvenirs et les paroles que Thérèse lui confie, mère Agnès prend hâtivement des notes qu’elle reporte ensuite sur un carnet.
Le 30 juillet 1897, Thérèse reçoit l’extrême-onction.
Les jours suivants lui laissent un peu de répit, mais arrive une période de grande souffrance qui l’oblige à renoncer à la communion : elle communie pour la dernière fois le 19 août.
A la fin du mois d’août, la douleur s’étant un peu estompée, on la transporte sur un lit roulant jusqu’au cloître où on la prend une dernière fois en photo.
Elle effeuille des roses sur son crucifix.
Le 14 septembre, refaisant ce geste familier, elle dit : « Ramassez bien ces pétales, mes petites sœurs, ils vous serviront à faire des plaisirs plus tard…N’en perdez aucun. »
Toute la journée du jeudi 30 septembre 1897, Thérèse étouffe et souffre énormément.
Elle entre en agonie.
Peu après 19 heures, elle articule sa dernière parole en regardant son crucifix : « Oh ! je l’aime…Mon Dieu…je vous aime !… » et s’endort dans la mort.( Histoire d’une âme- Chapitre XII- Le Calvaire- L’essor vers le ciel)
Le lundi 4 octobre, Thérèse est inhumée dans le cimetière de la ville. Léonie mène le deuil entourée des Guérin et de quelques amis.
Après le décès de Thérèse
La première édition de l’Histoire d’une âme paraît le 30 septembre 1898, juste un an après la mort de Thérèse.
Conformément à la volonté de la défunte, mère Agnès a corrigé les trois manuscrits, les répartissant en onze chapitres, en ajoutant un douzième dans lequel elle a résumé les derniers mois de l’existence de Thérèse.
Mère Agnès a complété l’ensemble par quelques-unes de ses poésies et des fragments de sa correspondance.
Malgré la banalité du titre, l’ouvrage est épuisé en quelques mois. Rééditions et traductions se multiplient.
Thérèse est très vite connue, aimée et priée à travers le monde. Les milliers de lecteurs sont bouleversés. On vient en pèlerinage sur sa tombe pour obtenir une guérison ou une conversion.
Impressionnés par le nombre exceptionnel de faveurs obtenues par l’invocation de Thérèse, les chrétiens du monde entier réclament sa canonisation.
En 1910, Mgr Lemonnier ouvre à Bayeux, un procès « ordinaire » ainsi appelé parce qu’il se déroule sous la responsabilité de l’Ordinaire du lieu (l’évêque).
En 1915, à Bayeux toujours, s’ouvre le procès « apostolique » se déroulant par délégation directe du Siège apostolique de Rome, il se termine fin octobre 1917.
Entre-temps, en août 1917 à Lisieux, a lieu la deuxième exhumation des reliques de Thérèse , la cérémonie s’est déroulée devant une foule estimée à mille cinq cents personnes.
Le 14 août 1921, le pape Benoît XV proclame sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus « vénérable », reconnaissant que celle-ci a pratiqué de façon héroïque la foi, l’espérance, la charité et toutes les autres vertus.
Le 26 mars 1923, les reliques de Thérèse sont transportées au carmel sous la châsse où elles se trouvent désormais.
Le gisant de marbre contient quelques ossements de Thérèse mais la quasi-totalité de ses reliques est enfermée dans un coffre doré placé sous la châsse.
Le 29 avril 1923, le pape Pie XI qui considère Thérèse comme l’ « étoile de son pontificat », procède à sa béatification et le 17 mai 1925, à sa canonisation: cinq cent mille fidèles venus à Rome à cette occasion entendent le pape déclarer solennellement que l’on peut désormais appeler la petite carmélite de Lisieux « sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ».
Le 14 décembre 1927, il la déclare patronne principale des missions à l’égal de saint François-Xavier.
On commence en 1929 les travaux de fondation de la basilique dédiée à Sainte Thérèse. Elle est achevée en 1937.
Un centre spirituel permettant aux pèlerins d’approfondir le message de Thérèse est construit près du carmel, il s’agit de l’Ermitage où sont organisées des retraites dès 1928.
Le 3 mai 1944, le pape Pie XII nomme sainte Thérèse patronne secondaire de la France à l’égal de Jeanne d’Arc.
Le 19 octobre 1997, le pape Jean-Paul II la déclare docteur de l’Église.
La théologie de la « petite voie de l’enfance spirituelle » propose de rechercher la sainteté, non dans les grandes actions mais dans les actes du quotidien même les plus insignifiants, à condition de les accomplir pour l’amour de Dieu.
En la proclamant 33ème docteur de l’Église, le pape Jean-Paul II reconnaissait ainsi l’exemplarité de la vie et des écrits de Thérèse.
Références:
-
- Sainte Thérèse de Lisieux, Éditions du Cerf, 1991, en collaboration avec les Orphelins Apprentis d’Auteuil, l’Office Central de Lisieux, Novalis.
Texte de Mgr Guy Gaucher. - Thérèse et Lisieux, Éditions du Cerf, 1991, Helmuth Nils Loose, Pierre Descouvemont, Daniel Leprince.
- Archives du Carmel de Lisieux.
- Sainte Thérèse de Lisieux, Éditions du Cerf, 1991, en collaboration avec les Orphelins Apprentis d’Auteuil, l’Office Central de Lisieux, Novalis.